dimanche 15 avril 2012

15 Avril 2012


 Journal d'Avril 2012
A propos de Violente Vie





En mars 2012, j’ai publié aux éditions du Castor Astral  le recueil Violente Vie, dont Marc Pessin a bien voulu honorer la couverture d’une gravure. Ce recueil comprend trois parties. La première, « Journal d’un jour », évoque les hauts et les bas du quotidien .


Parfois c’est la difficulté de vivre :


Soudain le paysage est annulé
par toute une rue sans voitures, luisante de pluie.
Des bicyclettes
 s'accotent à des murs
qui dorment      sous la Tour Eiffel lointaine,  coiffée de brume.


Tout s'éparpille.     On engrosse des ombres

on accroche séparément
des commémorations  sans  ordre.

- Je te parlerai plus tard.
Tu vois que je suis pleine d'eau tremblante.

Trop d'inconnu ce soir
 même   
 entre    toi et moi :

 l'heure inhabituelle

 des lieux dissemblables
en recel
dans chacun de nous.


et la difficulté , récurrente chez moi, de ne pouvoir connaître l’intérieur de notre corps, donc de n’être pas unis en nous-mêmes :

…A l'intérieur de nous, la réalité rend gorge
avec
reptations de tissus, réactions du cerveau.

Imprésentable  , le  dedans

des séquences      des zones
des éclatements çà et là.

Tout près d'imploser,
on se  retire

 à la fin   
on  laisse  les organes  
travailler, suinter, se débrouiller entre eux .


Même désaccord sur terre, entre les hommes :


En Angleterre   on voit les restes de ce grand mur triste
vieux de deux mille ans.

Ici les Romains ont arrêté leur avance
ils l'ont édifié, contre les invincibles Barbares au corps peint.

On hésite    Le gris confond
ciel et terre.

 Les pierres sont
presque indiscernables.

Mais  on les touche

et  le cœur a mal
d'autres murs      plus récents    à travers le monde.

Nulle part on ne sentirait aussi fort
qu'iI fait
partout
violemment antihomme parmi les hommes.

X

Pourtant nous sentons notre union avec l’univers, à travers ses choses les plus humbles :

Le caillou pauvre dans la main
fait partie
d'un être général

il a droit de falaise

il suffit pour dire
tout le rugueux, le dur de ce monde
et prend pouvoir
au creux de la paume
tendue comme pour un bonjour.

et  sa généralité :

parvenir où
sinon
dans   la terre    la terre qui va
mourir aussi?

Plus tard mourront
les planètes et les trous noirs.

Je suis pour dire
la non-destination     l'étroite peau
dans l'étroit décor

mais pour dire aussi

 l'énergie
son étrangeté
lumineuse.
célébrer    le regard vers les choses
l'enracinement de parole
dans les formes du monde

et la vie
provisoire .

X

La seconde partie du livre, « Figurations », transpose chez les peintres  ces hauts et bas de l’existence tels qu’ils les ont figurés , et aussi surmontés par leur art, frères des poètes à cet égard : tel le peintre de Vanités :

Hystéries cogneries cauchemars:
Scènes brutes  des capitales.

Mais silence
devant  un tableau:

la Mort joue du violon
et sourit , de ses dents sans bouche,
les os de sa main sur l'archet

face  au peintre
 qui  a conduit
de sa main charnelle
cette Vanité  du présent, du futur
.


et l’homme énigmatique de Philippe de Champaigne :


Hors cadre

Sa main droite dépasse la toile. Elle repose sur le cadre lisse du tableau. L'homme penche très légèrement son visage.
Mais son regard s'écarte du spectateur. On ne peut pas savoir s’il se dirige vers un lieu extérieur au tableau   ou s'il n’a pas d’autre projet que la méditation.

Il émane de ce portrait un grand calme et un grand mystère.

L'homme ne s'occupe pas de nous. Amical, mais solitaire, il nous abandonne pour mieux nous entraîner vers quoi - peut-être un renoncement aux choses de ce monde   peut-être une vision d'horreur   hommes contre hommes dans le déroulement infini de l'histoire?
Mais une horreur surmontée, convertie . Tout sur cette toile, et pas seulement la main, va au-delà d'elle.

X

La troisième partie, « Refus de refuser », s’approprie en poésie cette attitude devant le monde et la mort : surmonter l’appréhension de la mort proche, célébrer le vivant.


- Le plus grand des tourments ?

- Qu’un jour arrive
  tout  visage deviendrait
celui d’un inconnu.

Prisonniers
de même pas un rêve,
nous serions brume neutre,
plus seuls que seuls
 en marge
refusés
par le malheur même.

X


-Le bruit du cœur, combien obscur!
Guetté au pouls      le sourd ébranlement du sang,
naissances et morts  successives   dans la seconde.

Quelquefois  pourtant
la nuit
les yeux ouverts, nous sentons un flux et reflux heureux
nous traverser.

 Nous nous étonnons d'être
entièrement  baignés de vie, dans une mer commune aux hommes.
x
Aimer.

Ce sera un mot  sans suite.

Mais il aura été écrit, dans un moment lui-même ineffaçable du grand calendrier que nous ne connaissons pas.

X


Maintenant j'ai beaucoup de cercles dans mon corps, dit l'arbre.
   Le temps vient où ils seront exhibés, après sciage de  mon existence.
Les hommes compteront mes années.

      Pourtant ils les connaîtront moins que cette pierre nue, lentement entourée par mes racines: mon héritière dès aujourd’hui,  dans l'ordre secret de la terre.
x

Il était presque arrivé à la gare
quand le haut-parleur annonça:
va entrer une mer éclatante."

il s'élança
l'attrapa
se fondit en elle.
x

A la frontière  de ce qui peut se dire
mais de l'autre côté de la frontière
un homme
écrivait sa musique.



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